Trace Demain

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samedi 18 novembre 2017

ATELIER DU 10 NOVEMBRE 2017

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Les travaux de l'atelier du 10 novembre 2017 ont porté sur le point suivant :

Débats et travaux, d'un goût certain, furent à la hauteur d'une si grave et auguste assemblée.

Ensuite, et selon la tradition, l'auguste et grave assemblée s'engagea dans la Royale où elle fut aussitôt mise aux fers.

Info 1 : La prochaine séance aura lieu lors de la prochaine séance.

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Le président de Trace Demain chantant Joyeux anniversaire au trésorier de Trace Demain lors de la mémorable et émouvante session du 10 novembre 2017.

Bougies sur banc de nage.

Circa 10 novembre 2017 22 heures 19.

Musée des seins qu'on tînt des cinq en thym sains contents de Saint-Quentin-en-Manche (50).

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VIES EN VRAC


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Clairelise


Un soldat à sa mère

Pourquoi faut-il que j'aille faire cette guerre ? je n'ai jamais quitté ma Bretagne. J'ai toujours eu envie de voyager mais j'ai peur de partir.

Tu crois que l'herbe est plus verte ailleurs ? me répète sans cesse ma petite mère. Je dis petite car elle ne fait qu'1m52 mais quel caractère !

Je ne veux pas lui faire de peine, elle a déjà perdu son mari (mon pauvre père), alors si moi aussi je meurs, qui va s'occuper d'elle ?

Mais si je meurs à la guerre, je serai un héros « Mort pour la France » et maman sera fière de moi. Il n'y a jamais eu de déserteur dans la famille, chacun doit faire son devoir, c'est ça être un bon chrétien.

C'est quand même bizarre qu'il faille tuer pour être un bon chrétien, mais c'est ainsi. L'autre est un danger pour moi et pour notre pays, je dois faire mon devoir.

J'ai peur maman ! j'ai envie de me marier, d'avoir des enfants  je suis né trop tôt je crois !

Dix ans plus tard, peut-être qu'il n'y aurait pas eu de guerre, mais qui peut savoir ?

Soizic

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Yves Gourmelen

Il était charpentier. Il ne s'appelait pas Joseph mais Yves, Jean-Louis, René Gourmelen si vous aviez l'accent de Quimper, Gourmelin, si vous étiez de Marseille. Allez savoir où il était né ?

Il est né en 1919, un an après la grande guerre, enfin plutôt la longue guerre, quatre ans elle a duré.

Son père qu'il a perdu quand il avait trois ans, n'a pas pu lui raconter. Mais sa mère n'a pas cessé de lui parler de ses souffrances durant cette période : qu'il fallait qu'elle s'occupe de la ferme, qu'elle n'avait pas à manger, et puis surtout qu'elle désespérait de retrouver son tendre mari, le père de Yves Gourmelen. Elle lui a appris la lutte, à ne pas céder devant l'ennemi, à se battre. Mais il y a plusieurs façons de se battre disait elle. D'abord, aller à l'école pour pouvoir ensuite reconstruire.

Alors Yves est allé à l'école et a obtenu son certificat d'études. Il s'en souvient, c'était la fête. Il l'a écrit dans son cahier. Il avait mis un beau costume, portait une lavallière, avait bien nettoyé ses galoches. Il avait 14 ans et déjà, après avoir bu quelques bolées de cidre, avait invité Marie-Louise, Malou qu'on l'appelait. L'avenir lui souriait et lui souriait à Malou.

Mais on était en 1933 ! Au loin des histoires reprenaient sur les boches ! Il a rongé son frein pendant trois ans à réparer le toit de l'église, puis celui de l'école, puis refaire la charpente de l'étable. Trois ans, c'est long alors que les anciens disaient entendre le bruit des bottes se rapprocher.

Alors, il est entré à l'école de canonnage pour s'embarquer sur le cuirassé « La Bretagne ». Son père s'était embarqué jadis, il était Terre-Neuvas. Mais Yves, lui n'allait pas à la pêche ! Non, il était canonnier. Il se battait comme sa mère lui avait appris. Au début, les tirs lui arrachaient les tympans. Ensuite, il comptait les bateaux ennemis coulés. Avec le temps, on aurait pu croire qu'il aimait ça. Pas vraiment ! C'était devenu mécanique. Pointer, mettre l'obus, amorcer, tirer. Il lui restait l'art du bien fait quand il était charpentier. Ainsi, il a été décoré pointeur. Mais le bruit des obus, les flammes des bateaux, les hurlements des hommes qui tombent à l'eau, ne laissent pas un homme comme Yves Gourmelen indifférent. Il a été démobilisé en 1941.

Sa mère était morte et Malou ne l'avait pas attendu. Il déambulait dans le village, sa ferme natale en ruine. Yves Gourmelen a fini par tenir le comptoir du bistrot de La Louise. A en perdre la tête, à prendre ses amis pour ses ennemis, à haranguer et insulter les passants. Un jour, le second pointeur a trouvé un fusil et là, dans la rue, il a tiré sur Thomas Marie. Elle a perdu ses 2 jambes.

Sur sa carte d'identité, il est écrit qu'elle mesure 1m51, la photo date d'après l'accident. Avant, elle était plus grande. C'est pourquoi, depuis, elle ne quitte pas sa coiffe qui la grandit d'un bon 60 centimètres. Le photographe, dans l'art du bien fait, prend soin de ce détail à chaque fois, pour lui tirer le portrait.

Sylvie

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Gourmelen

« Marie Anne Thomas, née et vécue à Ergue Gaberic. Blanche aux yeux gris. Le teint mat. Illettrée »

Elle ne savait ni lire ni écrire, ni lire… Ni écrire…

Quand on part de rien, on peut difficilement deviner son sort.

Dans ce « cul du monde », nécessité fait loi.

On ne vit pas, on survit.

Elle me disait souvent : « Prend le large ! Ou le blé noir t'aura à l'usure ! »

Je suis né tout juste après le vacarme, le bruit, la chiure, la sale guerre quoi…

A Lestonan, on me présente très tôt à un maître charpentier de marine, j'apprends, j’équarris, je taraude, tenons et mortaises, calfat, assemblage… Et puis la mère avait dit : « Prends la mer, c'est toujous mieux que d'avoir les sabots dans l'lisier ».

J'avais aussi l'œil bleu-blanc et je ne beurrais pas ma chevelure… Alors suis parti, j'ai laissé les outils pour les armes.

Mousse à la Royale, je ne saurais dire si c'était pire ou mieux que le lisier…

Et puis on grandit, on apprend, on s'bagarre, on s'accroche, c'est comme ça qu'j'ai pris du galon, pointeur, canonier pour finir quartier maître, un crabe comme on dit.

Depuis Brest j'ai commencé par caboter d'ici, là, avant de pendre le grand large. Bien des années sont passées…

Je m'souviens que j'embarque sur le cuirassier BRETAGNE, suis content c'est mon pays ça ! La chienlit revient, là c'était pas que les gros porcs d'industriels qui nous emmenaient à la crève, c'était l'idéologie, le p'tit moustachu avait pris de la hauteur sur la merditude sourde et aveugle, il s'était même serré la paluche avec l'autre grosse moustache des steppes. Toute la flotte a eu alors pour mission de rejoindre un poste stationné à Mers-el-Kebir, à côté d'Oran. J'me souviens encore en 1940 du discours du « Maréchal nous voilà » : « la Frrrraaaaance à capitulé,… ».

On attend. Du coup, plus d'alliance. Les tommys arrivent en approche vers nous à bord d'une barge. Nous sommes le 3 Juillet 1940. On a entendu dans les coursives qu'ils ne faut absolument pas que les fachos prennent la main sur notre belle flotte. « Faut dire que même si l'histoire de France nous a fait placer les déesses de l'agriculture sur nos pièces de monnaie, la Royale de l'époque était une marine des plus importantes, à faire pâlir la Reine d'Angleterre ! »

Les anglais nous demandent de rendre les armes, d'autres disent qu'ils faut nous saborder… J'attends les ordres à mon poste, mon pote Gaël fume sa clope et m'dit : « Ce n's'ra pas la première fois que les angliches vont nous la mettre ! ». C'était l'cas, les amiraux avaient tranché, le gros Winston avait vite décidé, c'était ou se remettre à Pétain ?

Alors ils ont canardé notre flotte, le BRETAGNE a pris salves sur salves à l'arrière, touchant presque aux soutes de munitions. Je me suviens de mes frères brulant sur les nappes de mazout en feu… Les noyades… La merde quoi ! L'horreur ! L'horreur.

En 1941 j'ai été démobilisé, je débarque à Toulon.

« Mers-el-Kebir, résultat : environ 1300 morts. Morts pour quelle France ? »

J'ai rencontré Catherine. Nous nous sommes unis en 1942. J'ai depuis tout fait pour ne plus y penser. C'est Catherine qui a rangé mon bracelet matricule et le reste dans une boite à biscuits. Elle y a aussi déposé son missel. À quoi bon prier…

Je me souviens, qu'au 4 heures, nous avions plaisir à savourer des crèpes dentelles de Madame Tanguy.

Jérôme

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bigoudaine

« Alors, cette enquête ? »

Voilà ce par quoi j'avais décidé de débuter mon récit.

La carte d'identité de cette bretonne commençait à m'inspirer. J'avais d'ailleurs cru au premier coup d'oeil à un permis de conduire : carte rose comme mon permis B. Enfin pour une bigoudaine née en 1884 il y avait peu de chances…

J'avais donc pensé à un genre de polar, on aurait retrouvé les fafs d'une victime avec un fromage blanc sur la tête, enfin des conneries comme d'habitude. Pour le plus grand bien de la littérature, cela s'est arrêté là !

C'est fascinant ces vieux papiers. Cette carte d'identité en l'occurence me parlait. Je ne saurais dire si mes origines bretonnes, quoiqu'à l'extrême opposé de cette région, y étaient pour quelque chose.

Je me revois enfant pendant des vacances à Trégunc, pas loin de Concarneau. Les quelques centaines de mètres qui nous séparaient de la plage étaient jalonnées de petites vieilles en costume traditionnel, assises sur le bord de la route, tube blanc impeccable dressé tel un trophée sur le crane, s'invectivant dans une langue étrangère ponctuée de « ec », de « oz », de « ic ». C'était comme si elles avaient été plantées là pour le plaisir des touristes. Pourtant nous n'étions pas chez les indiens comme dans une réserve !

J'ai ressenti cet exotisme devant cette carte d'identité. Un siècle avant ma découverte des indiens à moi — même si les plumes dressées étaient de dentelle — j'imaginais mal ce qui pouvait rattacher naturellement un peuple à sa nation… en dehors de la carte d'identité.

Que raconte cette bigoudaine sans sourire, au regard si peu concerné ?

J'ai alors cherché des traces de génie dans les autres vieux papiers étalés sur cette table de salon. Des diplômes de marin, de pointeur secondaire de la Marine Nationale datant de 1919, de canonnier…

Je commençai alors à dresser la trame d'une veuve qui avait vu partir son époux bien aimé sur les flots pour ne jamais revenir, à la gloire d'une cause nationale qui la dépassait.

J'ai renoncé. Que nenni du génie. Carte d'identité, photos, croix de guerre, certificat d'études… Chacun de ces papiers est en soi une histoire, à quoi bon en rajouter !

A force de les observer, je les ai entendus me raconter… SE raconter.

Christophe

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Le parcours d'Yves Gourmelen

Je marine… Je marine depuis tellement longtemps…

Je suis devenu une huile de la Marine Nationale… Je fluctuat mais je ne mergitur point… même pas à Mers-El-Kebir…

Je suis né le 25 août 1919… 19 19… deux chiffres 1 et 9 qui se doublent comme une vie qui se dédouble… Je suis né 2… J'avais un jumeau. J'ai un jumeau. Il s'appelle Andy. Un drôle de nom. Probablement English why not ? What else de toutes façons ? Quand nos parents nous appelaient, cela donnait : « Andy-Yves !! A table !! »… Par exemple…

Puis nos chemins se sont détournés. Pour Andy cap au sud et en route pour le Brésil et l'Afrique au gré des courants et de la vie qui nous donne des occasions… ou pas.

Pour moi, Yves, pas de cap au sud. Plutôt une vocation de cap'itaine au p'tit cours.

Nous avons eu notre certif' mon frère et moi le 14 juin 1933. J'étais fier d'Andy-Yves, ce duo qui ne faisait qu'un. Puis je me suis engagé dans la Marine Nationale. Je suis devenu pointeur secondaire, puis canonnier en 1936. Pointeur secondaire ne veut pas dire le deuxième qui pointe à la pétanque. Canonnier ne veut pas dire spécialiste des p'tits canons au bar de l'Amirauté. J'ai bourlingué. J'ai roulé ma bosse sur le pont des bateaux, ce qui n'est pas aisé, croyez-moi. J'ai gravi les échelons. Suis devenu capitaine sans savoir ce que devenait Andy cap au sud. Je ne m'en souciais plus vraiment, vivant pleinement ma vie de marin pas marrant marinant sur les ponts.

Puis survint cette drôle de guerre, puis cette guerre éclair, puis cette folie à Mers-El-Kébir. Une absurdité à laquelle je ne m'étais pas préparé… Canonnier pointeur secondaire capitaine pour ça ???

N'étant plus très nombreux, j'obtins la croix de guerre puis je gravis les échelons encore plus vite.

Devenu amiral lecteur de Jules verne après guerre, je me mis en quête de mon frère. Personne n'en avait entendu parler, personne ne l'avait croisé, ni dans le monde, ni à Ergué Garbéric, notre patelin de naissance. Il paraît qu'il n'y a que moi qui le connaît…

Je marine… Je marine depuis tellement longtemps dans cet hôpital psychiatrique… Andy n'a jamais existé. Andy-Yves était soi-disant ma partie cachée, ce qui pousse sous terre, ce qui calme de la solitude…

Je m'appelle Yves Gourmelen… et je me suis monté un bateau, et je flotte entre deux eaux, au gré des courants…

Quand retrouverai-je Andy ?

Marc

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d'après une photo

Une photo prise à la dérobée, par un de ces photographes qui, dans ces années-là où les appareils étaient un luxe, arpentaient les avenues fréquentées, vous figeaient puis vous tendaient un ticket avec un numéro pour aller chercher le tirage développé à la boutique.

Elle et ses deux filles. Les vestes boutonnées, les parapluies fermés disent qu'on est à l'abri d'une éventuelle averse mais aussi la prévoyance. Leurs ombres sur le trottoir indiquent un matin ou un soir. Vaguement, on distingue de la verdure, des pelouses.

Les petites regardent sans doute l'objectif, un instant suspendues, on le devine, non par l'instantané mais parce qu'elles ont posé, le temps d'un battement de cils. Elle, le buste penché, le front large, défie. Elle défie le photographe, elle défie le commerce qu'on fait de ces images prises à votre insu et elle défie la postérité.

Parce que l'avenir, c'est aussi ce que dit le présent saisi, cette mère et ses enfants, le père qui n'est pas là, qui est là-bas, dans ce pays qui n'en est pas vraiment un, dans cette guerre qui en est bien une. L'avenir, qu'est-ce qu'il lui réserve ? Une lettre qui dira un jour : « Madame, nous avons le douloureux devoir de vous annoncer… » ?

L'avenir, qu'est-ce que c'est pour ces deux gamines ? Elles grandissent sans voir une ombre qu'elles fuiront quand elle leur apparaîtra comme un bonhomme effaré et impatient.

L'avenir ? Une vie seule, à se battre contre le sort, contre le travail, contre deux mouflettes qui n'admettent déjà plus d'être réduites aux rôles de petites filles obéissantes et démodées.

L'avenir ? Un mur, contre lequel foncent, tête baissée ou les yeux grand ouverts, deux gamines et leur mère, un matin de mars ou un soir de novembre, face à un photographe mercantile qui n'en peut mais, qui doit bien nourrir ses enfants à lui parce qu'il n'a pas retrouvé son boulot en rentrant de cette guerre, là-bas.

Jean François

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Je suis Yves Gourmelen

Je suis Yves Gourmelen

Gourmelin en français

Yves Jean Louis Henri

Né à la fin de la moisson le 28/8/1919 à Erguy Gabéric, comme mes père Jean, grand-père Louis, arrière-grand-père Henri.

Une foutue tête de bois de breton.

Comme eux.

Ce qui n'a pas empêché mon père et mon grand-père de mourir et de mourir plus jeune que mon âge d'aujourd'hui.

Tous les deux cultivateurs du même lopin de terre du Finistère, au bout là-bas, battu par les vents.

Tous les deux ailleurs, et même pas ensemble, enfouis dans quelle terre étrange ?

Les ramènera t-on seulement un jour à la maison pour les enterrer chez nous ?

Ils se sont crevés à la tâche, et ont crevé tout court à la guerre avant de nous avoir vu grandir vraiment.

Crever pour crever, moi aussi j'y vais…

Enfin, je suis prêt…

Quand j'ai passé mon certificat d'étude à Quimper en 1933, je ne savais pas trop… Un copain rêvait de la Marine…

Deux ans après, j'ai obtenu mon diplôme de pointeur secondaire à Toulon, avec Yvon. Puis tout s'est enchaîné très vite jusqu'à mon diplôme de quartier-maître canonnier.

Ma mère était verte de trouille sous sa coiffe…

Je l'ai rassurée comme je me rassurais moi : on ne va pas s'en taper une deuxième tout de suite de guerre !

Je crois que c'est ma foutue tête de pioche qui m'a fait y aller, alors que j'étais pénard à continuer à cultiver si je voulais, ou à faire des charpentes chez nous.

Envie d'en découdre comme eux ; finalement, ce n'est pas Yves mon copain que j'ai suivi, c'est eux, eux que je n'ai jamais connus.

Leurs deux visages passent sur le mien au fur et à mesure que je vieillis disent les femmes de la maison.

Mais ça n'a pas suffi…

Demain, je serai comme eux, 720B35 c'est moi, je viens d'avoir mon ordre de mobilisation, et je pars à Brest embarquer…

Christine

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En boite

La Bretagne c'est chiant. Comme la pluie. En puis c'est plein de bretons. De bretonnes. Qui se reproduisent. Et que font tous ces bretons, toutes ces bretonnes, lorsqu'ils et elles se reproduisent ? Des petits bretons. Des petites bretonnes. Comme s'il en pleuvait. Vous parlez d'une fantaisie. À croire qu'ils n'ont que ça à foutre. Ou elles. En même temps, faut les comprendre, ils et elles vivent toute l'année au mois de novembre. Vous parlez d'un temps. Un novembre pluvieux. Un novembre à perpette. Un novembre de 366 jours les années bissextiles. Dans leur dialecte, le breton, ils et elles ont 735 mots pour pluie, 425 pour gris, 276 pour froid, 659 pour mouillé, 1 seul qu'on peut traduire, indifféremment, par soleil, beau, sec, chaud, ciel bleu ou agréable, mais qui est marqué dans le dictionnaire comme orig. lat., rare et litt.

Autant faire des bretons. Des bretonnes.

Je n'étais pas faite pour vivre ici.

Quand les bretons sont vieux, quand les bretonnes sont vieilles, quand ils et elles ne peuvent plus se reproduire, ils et elles vont taper sur du granit. Le granit ne leur a rien fait mais ils en ont des gros morceaux qui traînent partout. Vraiment partout. Sous des climats plus tempérés, casser du caillou est une punition mais pour les bretons, pour les bretonnes, le bagne ça leur fait des vacances. Quand on connait la dureté du granit, 6 à 7 sur l'échelle de Mohs, on ne s'étonne pas que leurs colonnettes, leurs tables de jardin, ne soient qu'à peine ébauchées. Ils y travaillent pourtant depuis plus de trois mille ans. Ils n'ont pas fini. Ils appellent ça des menhirs, des dolmens. En même temps, faut les comprendre, une table de jardin, pour l'utilité que ça peut avoir, en plein mois de novembre, y a pas le feu au raz.

Je suis née au bord de l'étang de Berre. Au chaud. À 1500 degrés centigrades. Loin des novembre en rafales et répétition. Je n'ai même pas de mot pour pluie dans mon dialecte. En même temps, faute d'appareil vocal, entre autres, je n'ai ni langue ni dialecte. J'ai grandi à toute allure. À peine sortie du gueulard, oxygénée à pleins poumons sur un lit de ferrailles, je me suis coulée en lingotière, l'élégance même, toute en voltes et sillons. Question fini, raffinement, tant pis pour ma modestie, c'est quand même autre chose qu'un bloc de granit, confusément dégrossi par trois mille ans d’opiniâtreté bretonne à fabriquer, en vain, du mobilier de jardin. Pour toute éducation, je suis passée par deux salons de massage. Un laminage musclé, à vous faire bramer, puis un second tout en finesse, douceur et volupté, de quoi parfaire une bobine enjôleuse, à damner l'un de ces saint aux mœurs brindezingues dont ils sont si friands, en Bretagne. J'ai quitté Lavera en train et dans ce très simple appareil, direction la Loire, sur les rives de laquelle je fus proprement emboutie, en tout bien tout honneur, après découpage. C'est à l'impression que j'ai tiqué. J'en aurais pleuré, si j'avais disposé d'un appareil lacrymal.

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Les bretonnes et les bretons disposent, eux, d'un appareil lacrymal. Ils s'en servent. Et bruyamment. C'est qu'à force de se reproduire ou de taper sur du granit, a fortiori les deux en même temps, il leur prend soif. Du coup ils et elles boivent. La tasse. Des tas de tasses. De l'eau salée quand ils et elles sont en mer, tout liquide qui n'a eau ni sel quand ils et elles sont à terre. Ou les deux. Inversement et concurremment. C'est qu'ils et elles craignent la sècheresse comme la peste. Plus que la peste. À 37 degrés centigrades de température corporelle, ils et elles suffoquent. En même temps, faut les comprendre, ils et elles ont en permanence la nostalgie de novembre. Même en novembre. Surtout en novembre. D'un novembre intérieur. Il n'y a jamais, selon eux, selon elles, de mois de novembre assez mois de novembre. Du coup ils et elles pleurent. Se plaignent. Très fort. Très très fort. En même temps, faut les comprendre, entre le vacarme des coups de burin sur le granit, et rentrer tard le soir chez soi, dans les brumes de novembre, par mer ou par terre, rehumidifié jusqu'à la moelle pour aller se reproduire, l'usage d'un avertisseur sonore, à très fort volume, peut passer pour une solution de bon sens, une question de survie. Ça distrait. Du coup, ayant observé le bruit que font les intestins gonflés d'un noyé lorsqu'on saute à pieds joints dessus, autre divertissement, ils et elles en ont fait un instrument. De musique. Pas de torture. Pour pleurer très fort. C'est un coussin péteur en forme de pantin, un noyé aux bras morts et maigres, ballonné du bedon, qu'ils et elles utilisent comme un déodorant, sous les aisselles. Ils et elles appellent ça corne de brume. Ou de muse. Enfin ça corne. Les virtuoses obsédés de l'instrument, il y a des limites tout de même, sont exilés dans des pays lointains, sans espoir de novembre, où ils jouent de cornes à muses si considérables, si rétives, qu'ils s'assoient dessus, une serpillère autour de la tête pour garder leur chevelure en novembre. On les appelle des cornacs. Oui, il y a des bretons partout. Même sous les bananiers.

Pour ma part, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je me suis retrouvée fourrée de gaufrettes dans un magasin à bretonneries de Quimper, entre de la vaisselle marquée I LOVE BZH, et toutes les déclinaisons commerciales possibles du bonnet de bigouden, du cache-parapluie au préservatif. J'ai fini dans le buffet d'une vieille dame, le meuble, les crèpes en dentelles dans le buffet de la vieille dame, l'organe.

La vieille dame ne m'a pas jetée.

C'est que bretonnes et bretons n'ont pas de boites en granit. Des dolmens, des menhirs ou des dalles tombales, mais ni boite ni table de jardin, ni urne ni cercueil. Les gaufrettes disparues, je me suis retrouvée fourrée de reliques. En châsse. Bretons et bretonnes, mais pas qu'eux, sont très gourmands de reliques. Tous les humains le sont. Les pauvres.

Photos, papiers, médailles. Trois générations.

Livrets militaires, diplômes scolaires, carnets de rationnement, cartes d'identité, certificats, reçu de prêts, billets de soldes, passeports, permis de conduire, missels. Portraits.

Oui, j'ai oublié de le préciser, mais bretons et bretonnes sont des êtres humains. Des vrais. De la naissance à la mort et réciproquement, ou l'inverse, et non, comme disent les mauvaises langues, en dépit des apparences. Ou alors, en dépit des apparences, comme tous les êtres humains. Et c'est une marotte, un rêve, un péché mignon toujours recommencé de ces êtres humains que de plonger leurs mains dans la mer, d'essayer, en vain, défaite après défaite, d'en capter, d'en retenir l'eau qui fuit entre leurs doigts, de n'en tirer, poussière d'échec, souvenirs de larmes, qu'un peu de sel sur la peau.

Reliques.

Saisir ce qui n'a pour eux ni commencement ni fin ni durée et toujours leur échappe et toujours leur échappera.

Leurs vies.

Bernard C.

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BOITE AU TRÉSOR

TRACES DE TREIZE MAINS ET UN NEZ

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TRÂCHES DE BAINS

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lundi 23 octobre 2017

ATELIER DU 13 OCTOBRE 2017

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Les travaux de l'atelier du 13 octobre 2017 ont porté sur les points suivants :

Débats et travaux, d'un goût certain, furent à la hauteur d'une si grave et auguste assemblée.

Ensuite, et selon la tradition, l'auguste et grave assemblée, qui avait la pêche, sourires en banane, bourra de marrons la fraise de la pauvre pomme qui avait fait la poire pour des prunes.

Info 1 : La prochaine séance aura lieu lors de la prochaine séance.

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Les membres de Trace Demain accueillant d'un click sur l'image, et avec enthousiasme, Papounet et ses consignes orange lors de la mémorable session du 13 octobre 2017.

Pipi sur dessus

Circa 13 octobre 2017 22 heures 19.

Musée du avocat basané bistre bleu bordeau caca d'oie café chartreuse épinard fraise glycine gris grenadine indigo jaune lapis-lazuli mastic malachite noir noisette olive parme pistache poil de chameau poireau ponceau rouge rouille roux rubis sable safre saumon sépia souris taupe terre de sienne tomate topaze vermeil vermillon violet vert violine zinzolin. Orange (Vaucluse).

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ORANGES OTEZ CES POIRES AUX VIEILLES SAINES MAMIES


ORANGE QU'ON FIT


dimanche 24 septembre 2017

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU 15 SEPTEMBRE 2017

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Les membres de Trace Demain ratant de peu l'écriture d'un vers de 12 pieds, lors de la mémorable assemblée générale du 15 septembre 2017.

Chausseur sachant chausser sur archiduchesse sèche.

Circa 15 septembre 2017 22 heures 19.

Musée du vers solitaire, Alexandrette.

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Comme chaque année, l'assemblée générale de Trace Demain s'est tenue avec ordre, rigueur et componction.

Discussions et délibérations, d'un discernement certain, furent à la hauteur d'une si grave et auguste assemblée.

À l'issue de ces discussions, ont été solennellement arrêtés, selon le rapport circonstancié du secrétaire général, dont le talent sténographique n'a d'égal que le sang-froid dont il fit preuve dans le commandement sous le feu de l'ennemi :

  • Réélection du bureau, tel qu'en lui-même l'éternité le change.
  • Divers
  • Comptage des nombre de verres à pied et de pieds sans verre.
  • Divers
  • Palpations capillaires ou crâniennes (selon ressource)
  • Dix verres
  • Dilatation et contraction de l'espace-temps dans une année comptable
  • Dix verres
  • Constitution d'un groupe de travail tripartite pour faire bouillir l'eau des pâtes
  • Dix verres

Ensuite, et selon la tradition, l'auguste et générale assemblée alla chanter en chœur les filles de Camaret à la messe d'inhumation d'un inconnu.

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Les membres de Trace Demain prenant la grosse tête après avoir réussi, à un pied près, un alexandrin, lors de la mémorable assemblée générale du 15 septembre 2017.

Goitres sur chevilles.

Circa 15 septembre 2017 22 heures 19.

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TRACES DE PIEDS


mardi 12 septembre 2017

ATELIER DU 11 SEPTEMBRE 2017

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Les travaux de l'atelier du 11 septembre 2017 ont porté sur le point suivant :

Écrire un texte à partir de ces trois objets :

Un vin

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Un ouvrage

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Une musique

Débats et travaux, d'un goût certain, furent à la hauteur d'une si grave et auguste assemblée.

Ensuite, et selon la tradition, l'auguste et grave assemblée marcha sur les mains sans les mains, maman.

Info 1 : La prochaine séance aura lieu lors de la prochaine séance.

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Les membres de Trace Demain en rang par taille pour la rentrée, lors de la mémorable session du 11 septembre 2017.

Coudes sur comptoir

Circa 11 septembre 2017 22 heures 19.

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LOVELY

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— il est costaud, hein… 14 degrés !

— moi, j’l’trouve pas trop chaud…

— je suis passé chez Madame Lecodet : « tiens, vous voulez pas goûter ? » elle venait d'ouvrir une bouteille… faut y’aller l’vendredi soir : elle fait péter les bouchons !

— moi je vais m'écrouler là… pffffff

— lecture collective ? (silence)

— tu aimes les caresses, toi… mmmmm

Foulant les violettes
la vache avance
quelle élégance

Il y a un pendu sur ce tableau… la dernière fois c'était un bateau

— Bernard c'était quoi ta question ?

— tu le sauras après… c'était sur Mal Valdrom…

— tu t'es fait rembarrer Clairelise ? (sourire)

— vous vous taisez, hein ! c'est la rentrée ! (sourires)

— est-ce qu'il peut le remettre ?

— si tu me sers un coup de pinard, ouais, pas de problème. (silence)

— bon je t'ai remis un coup de pinard… !?! (silence / musique)

— il est saxophoniste Valdrôme ?

— non, il est pianiste.

— ah ?

— C’est Arti Cheaf le saxophoniste ?

(musique)

— bon : faut que je me documente qu'un peu ! (verre de vin)

— euh… le nom du morceau c'est left alone ?

(musique / silence)

— je peux le remettre, hein !

— oui oui sauf si ça vous… ???

(musique again)

Bon… Jef avait dit qu'on ne pouvait pas écrire en écoutant de la musique… mais bon… je dis ça, je dis rien… mais qu'est-ce qu'ils écrivent tous ? il en remplissent des pages !!! moi, c'est pas mon truc l'écriture, peut-être ? rien ne sort… et si je faisais un petit dessin ? j'aime bien cette musique… Oh, Jérôme fait cuire du riz ! Bernard l'encourage et tourne en rond… Véronica pianote son téléphone… elle doit avoir terminé. Catherine relit son cahier en souriant… Jef remplit plusieurs pages en se tenant le front… Christophe fait une drôle de moue en écrivant avec son stylo à encre… et Gérard se tient le menton, pensif…

— ohhh ! c'est pas rose à l'intérieur !

— oui… en même temps c'est de la Badoit…

— ben… ça plombe bien l'atmosphère, hein, quand même ?

— il en a fait des glauques, aussi…

— des glaucomes ?

— vous voulez que je vous la remettre ?

— nooon : tu as lassé l'auditoire !

Claire-Lise

TRACES DE MAINTS VINS


LE RETOUR DE LA CONSIGNE

*

consigne.jpg

*

Ils viennent de prendre place autour de la table.

Alex : qui a préparé des propositions pour ce soir ?

(Silence général)

Alex : allons, Boris, toi qui as toujours de bonnes idées ?

(Boris ne dit mot)

Charlotte : il y a bien quelque chose qui m'avait plu, comme idée, mais je ne me souviens plus. J'ai pensé à cela l'autre jour et puis j'ai oublié.

Denis : on pourrait faire comme Pérec mais à l'envers : au lieu de « je me souviens… » on écrirait de petits fragments commençant par « j'ai oublié… »

Boris : bof, j'ai peur de la tentation de la banalité, genre « j'ai oublié mon code PIN », « j'ai oublié un rendez-vous »

Émile : nah, Boris… tu sais bien que nous avons un peu plus d'imagination…

Félix : d'imagination, d'imagination… c'est un peu facile, il vaudrait mieux une consigne plus explicite : j'ai oublié quelque chose que j'ai réellement oublié.

Gerard : comment veux-tu parler de quelque chose que tu as oublié puisque justement tu l'as oublié ?

Alex : c'est possible, par exemple j'ai oublié ma grand-mère sur une aire d'autoroute.

(Rires)

Denis : j'ai oublié d'où venait le vin que nous a fait goûter Émile la dernière fois…

*

vinsdefrance.jpg

*

Boris : j'ai oublié le nom du pianiste qui accompagnait Billie Holiday

(Sur le mur un pendu a remplacé le bateau : strange fruit)

Charlotte : ça, c'est Mal…

(Ricanement de Félix, le seul véritable jazzophile du groupe)

Alex : c'est un peu facile aussi d'aller chercher des oublis qui ne disent rien à personne à part des spécialistes ! J'ai oublié comment résoudre l'équation de Schrödinger pour un électron se trouvant dans un puits de potentiel à une dimension et pourtant je me souviens que cela se faisait de façon élégante avec un crayon et du papier…

(Le chœur des autres : bouh ! Tu étales ta science ! Pédant ! Tueur de chats !…)

Félix : chut ! Je trouve que c'est une bonne idée, le « j'ai oublié… mais je me souviens… ». Par exemple « j'ai oublié qui a composé left alone, mais je me souviens d'un enregistrement avec Archie Shepp ».

Hélène : il faut se décider, on avait prévu 3/4 d'heure d'écriture avant d'attaquer le chili et voilà déjà qu'un petit quart d'heure s'est écoulé et on n'a même pas de consigne.

Denis : j'ai oublié le moment où l'on a cessé de consigner les bouteilles en verre, mais je me souviens des litres à étoiles… ça me plait bien…

Isidore : j'ai oublié qui devait apporter du whisky, mais je me souviens qu'on avait décidé « pas d'atelier d'écriture sans whisky ».

Boris : c'est pas « on avait décidé… », c'est Jef qui l'avait dit.

Charlotte : au fait Jef n'est pas là ?

Alex : zut, j'ai oublié de le prévenir…

(In petto : mais je me souviens que c'était son tour d'en apporter)

*

Consignateur des débats : Bernard G.

jeudi 16 février 2017

ATELIER DU 10 FÉVRIER 2017

Filet typographique

Les travaux de l’atelier du 10 février 2017 ont porté sur les points suivants :

  1. J’en ai rien à foutre : inventaire sur tampon.
  2. Chigagos : charade pour trouver le nom d’une ville.
  3. Quatrain super héros.
  4. Marine : courte narration autour de ce tableau et dessiner un tatouage vu à bord.

Débats et travaux, d’un goût certain, furent à la hauteur d’une si grave et auguste assemblée.

Ensuite, et selon la tradition, l’auguste et grave assemblée détruisit l’univers connu en ripaillant de joues de porc au miel et à la bière, de pâtes fraîches, fromages, tarte aux poires, raisins fermentés pressés et tralalas (lalère).

Info 1 : La prochaine séance aura lieu le 10 mars 2017.

Info 2 : Un nouveau membre a été admis (en maison de redressement).

Filet typographique
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Les membres de Trace Demain s’accouplant férocement lors de la mémorable session du 10 février 2017.

Chatouilles sur conflit mondial.

Circa 10 février 2017 22 heures 19.

Musée des valets évadés du Valais dévalant les vallées délavées de Laval et les levées des laves avalées de Véda le laid lad d’Eva la veuve veule à Dédé les dés las. Cruchot La Lavasse (Meurthe-Maritime) (chef-lieu de canton).

Filet typographique

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